On dénombre aujourd’hui dans les Régions de l’Est, de l’Adamaoua, de L’extrême Nord plus de 300.000 réfugiés auxquels s’ajoutent une centaine de milliers de déplacés internes[4]. Le plan de réponse humanitaire au Cameroun pour l’année 2016 vise une population de 2.7 millions d’habitants jugés en insécurité alimentaire.
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Les objectifs des organisations membres de cette société civile étant étroitement liés à l’intérêt général, et considérant que chaque année des milliers d’associations et autres sont déclarées au Cameroun, on est en droit d’attendre une « ruée » de ces acteurs au chevet des milliers de personnes nécessiteuses. Le constat de leur faible présence dans la réponse humanitaire Suscite un questionnement légitime sur les raisons d’une telle situation. Est-ce l’illustration de l’incapacité des organisations locales ? La présente réflexion se propose de rechercher les causes de ce phénomène en analysant spécifiquement cet espace social afin d’interpeller les acteurs impliqués sur des potentielles voies de solutions.
LA SOCIETE CIVILE AU CAMEROUN, UN CORPS DANS LA TOURMENTE
Aborder
la question de la société civile au Cameroun s’apparente à s’aventurer dans un
labyrinthe tant ce sujet est complexe, cette réflexion se limite de ce fait à
l’analyse de deux aspects qui nous semblent fondamentaux, notamment l’ancrage
institutionnel qui héberge ce corps
social au Cameroun et ses dispositions
internes (organisationnelles).
Un encrage institutionnel contraignant pour les organisations de la société civile
Au Cameroun,
les organisations relevant de la société civile engagées dans la réponse humanitaire
sont peu nombreuses. Contrairement au débat en cours sur la nécessité
d’impliquer les OSC locales dans les réponses humanitaires, l’Etat n’œuvre pas clairement à l’implication de ces organisations dans le
dispositif humanitaire national. Quelques dispositions le démontrent, notamment le dispositif légal
et la non considération de la société civile comme de potentiels acteurs
humanitaires.
Un dispositif légal défavorable
Le
déploiement des organisations de la
société civile au Cameroun est entravé par le cadre légal existant. Il comporte des
« tares » qui maintiennent ce
corps sociétal dans une posture inoffensive.
En effet,
ces organisations au Cameroun sont
régies par les lois N°90/53 du 19 Décembre 1990 portant liberté d’association
et N°99/014 du 22 Décembre 1999 régissant les Organisations non
gouvernementales. Ces lois comportent des dispositions restrictives qui
influencent le fonctionnement des associations déclarées. L’article 11 de la loi de 1990 dispose par exemple que :
« Hormis les associations reconnues
d’utilité publique, aucune association déclarée ne peut recevoir ni subventions
des personnes publiques, ni dons, ni legs des personnes privées ».
En
d’autres termes, aucune association déclarée ne peut aspirer à se doter de
moyens financiers extérieurs si elle n’est pas « adoubée » par le
Président de la République qui est le seul à pouvoir octroyer par décret le
statut « d’utilité publique »
permettant de bénéficier des
subventions de l’Etat. On peut déduire que pour exister effectivement sur le
terrain, il faut avoir la bénédiction des pouvoirs publics.
Bien que des millions d’associations soient
déclarées au Cameroun, il n’est pas
surprenant que seule une poignée émerge en
posant des actions concrètes. Le nombre d’associations déclarées dans les
Régions de l’Est, l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême Nord touchées par la crise donnerait le tournis à
n’importe qui mais sur le terrain elles sont inexistantes. Incapables de se
prendre en charge.
Il en découle l’instrumentalisation, la
politisation des associations et autres ONG pour des intérêts privés souvent
très éloignés de l’action sociale ou de l’amélioration des conditions de vie
des populations annoncées dans les statuts et règlements intérieurs.
La Non considération de la Société Civile comme potentiel acteurs humanitaires
Une
situation de crise humanitaire interpelle des acteurs divers, nationaux ou
internationaux, l’Etat du Cameroun en tant que garant du bien-être des
populations a la responsabilité de coordonner les efforts de tous les acteurs
disponibles. Un Comité interministériel ad hoc chargé de la gestion
des situations d'urgence concernant les réfugiés au Cameroun[6]
a de ce fait été mis en place, il est présidé par le Ministre de
l’Administration territoriale et de la Décentralisation et a pour membre :
Le Ministre des Relations Extérieures; le Ministre Délégué à la Présidence,
chargé de la Défense ; le Ministre de la Santé Publique; le Ministre chargé de
Mission, Secrétaire Permanent du Conseil National de Sécurité; le Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de la
Défense, chargé de la Gendarmerie Nationale; le Délégué Général à la Sûreté
Nationale; le Directeur Général de la Recherche Extérieure.
La société
civile n’est mentionnée nulle part dans la liste des membres de ce comité en
charge de coordonner tous les efforts, toutes les capacités susceptibles de
contribuer à la réponse que l’Etat du Cameroun
apporte à cette crise humanitaire.
Le fait que
ce comité soit chargé d’assurer la concertation entre le gouvernement et les
institutions internationales pour une gestion harmonieuse de la situation
d’urgence concernant les réfugiés au Cameroun démontre la place négligeable
accordée à la société civile par l’Etat du Cameroun.
C’est
l’occasion de préciser que les organisations locales recensées par OCHA dans la
Réponse humanitaire au Cameroun y figurent parce qu’elles ont réussi à obtenir
des financements lors des appels à
projets lancés par certaines organisations humanitaires internationales. Elles
sont de ce fait en sous-traitance le
temps de la durée d’un projet. Il serait difficile d’en trouver une engagée sur le terrain avec ses moyens
propres.
Le cadre institutionnel
dont nous avons analysé deux aspects n’est pas favorable à l’implication
effective de la société civile camerounaise dans la réponse à la crise
humanitaire qui frappe le pays. Tenue dans l’incapacité de financer des
actions, il n’est pas abusif de parler de « clochardisation de la société civile au Cameroun ».
C’est ce qui explique la course aux financements internationaux qui s’observe
au sein de ces organisations maintenues
en mode «survie » depuis 1990.
Force est
de constater que les organisations de la société civile ne sont pas prises en
compte comme de potentiels acteurs humanitaires par l’Etat qui s’est doté d’un
comité interministériel pour la collaboration avec les Organisations
Internationales. Aucun cadre n’a été mis en place pour harmoniser les
potentiels efforts locaux dans cette crise dont les chiffres sont plus préoccupants d’années en années.
Les défaillances organisationnelles au sein de la société civile au Cameroun
Au-delà de l’encrage institutionnel défavorable, l’efficacité relative des
organisations de la société civile dans le domaine humanitaire peut aussi etre
une conséquence logique des défaillances organisationnelles diverses.
Absence de transparence dans la gestion des ressources
La
précarité financière dans laquelle évoluent les organisations de la société
civile au Cameroun est accentuée par
l’absence de transparence dans la
gestion des ressources. Il est fréquent de constater des échecs dans les
projets pour mauvaise gestion. Les OSC pour la
plupart ne disposent pas de capacités de
gestion conformes aux normes internationales, d’où la profusion d’initiatives
de renforcement des capacités de ces OSC, nous pensons ici au Programme d’Appui
à la Société Civile (PASC) initié par l’Union Européenne pendant plusieurs
années.
Ces limites sont aussi structurelles parce que
beaucoup d’organisations sont unipersonnelles, elles ne disposent pas de sièges
et se déploient selon les opportunités qui se présentent. La littérature sur
ces freins au développement de la société civile au Cameroun est riche[7], nous pouvons
effectivement citer la formation approximative des acteurs associatifs, l’incapacité
des associations à mener des actions de grande envergure, la faible expertise locale
que nous n’aborderons pas ici bien qu’ils fragilisent grandement ces
organisations. Nous choisissons d’aborder des aspects qui n’ont pas été suffisamment développés, notamment :
La question de la légitimité des organisations de la société civile au Cameroun.
Les
promoteurs associatifs lorsqu’ils entreprennent de se regrouper au sein d’une
association se préoccupent prioritairement de la conformité juridique de leurs dossiers, chose
qui peut être garantie par les conseils d’un professionnel. Il y a cependant une
dimension fondamentale de la vie
associative qui est négligée, celle de sa légitimité.
En effet, la majorité des
organisations ne basent pas leurs activités sur l’adhésion des populations. Des
efforts considérables sont fournis pour
maitriser des techniques et stratégies pour capter l’attention des bailleurs
occidentaux, mais très peu se soucient de l’opinion des populations locales
pour lesquelles elles prétendent travailler.
Nul
besoin de rappeler que les organisations qui reposent sur une adhésion massive
des populations sont plus intéressantes aux yeux des bailleurs qui ont
l’opportunité de mener des actions de grande portée. Ce n’est pas un abus de
notre part de dire que l’approche du développement de la majorité des
organisations camerounaises est essentiellement « extravertie » dans
la mesure où les énergies sont déployées pour attirer l’attention des acteurs extérieurs,
et non pour susciter l’adhésion locale.
Porter
une vision, la faire partager par les populations est un challenge pour les
acteurs de développement qui démontre ainsi leur perception limitée de la
question associative.
La question du management stratégique
Le
déploiement d’une organisation obéit à des règles bien établies dans le cadre
d’une stratégie. Force est de constater que cet aspect du management est une
des plus grosses faiblesses de la
société civile camerounaise. Sur le plan humanitaire spécifiquement, très peu
d’acteurs ont une bonne connaissance du système humanitaire international. Il
est alors un peu hasardeux de prétendre mener des actions dans une dynamique sans
la connaitre. Les organisations
camerounaises qui se retrouvent aux cotés
des acteurs internationaux sont celles qui ont pu postuler à un appel à projet
pour appuyer l’action d’une organisation internationale quelconque.
Nous critiquons le dispositif juridique mais il faut reconnaitre que ces OSC n’excellent pas dans
l’innovation des stratégies de mobilisation des fonds pour leurs activités. Très
peu d’organisations sont capables de mener des actions de fundrising parce
qu’elles ne reposent pas sur des dynamiques de solidarité locales, il leur est
difficile d’impliquer des donateurs locaux, d’autant plus que cette culture
participative n’est pas encore encrée dans les mentalités.
Ces lacunes condamnent les OSC à dépendre du
lobbying politique de leurs promoteurs pour obtenir des soutiens multiformes,
les plus ingénieux sont contraints à la sous traitance auprès des Organisations
internationales. C’est ce qui fait dire au politologue Mathias Owona Nguini[8] :
« Les
organes sociaux civils et citoyens camerounais souffrent de sérieux problèmes
de gouvernance organisationnelle, stratégique et programmatique qui en
relativisent la réputation et affaiblissent leur capacité d’action collective
en les inscrivant au final dans les filets d’une « société de cour ». »
Les
faiblesses de la société civile sont multiples, elles traduisent cependant un
malaise plus profond sur la place accordée aux acteurs non étatiques au
Cameroun.
POUR UNE DYNAMIQUE HUMANITAIRE LOCALE EFFICACE : UNE RESPONSABILITE PARTAGEE
Construire
une dynamique humanitaire locale au Cameroun est un impératif aujourd’hui pour satisfaire les
besoins des centaines de milliers de nécessiteux et surtout anticiper les
crises futures. Ce travail interpelle non seulement les pouvoirs publics mais
également la société civile.
LA RESPONSABILITE DE L’ETAT DU CAMEROUN
Malgré le
dispositif humanitaire en place pour répondre aux besoins sans cesse
croissants, l’aperçu des besoins humanitaires au Cameroun[9] soulevait déjà en 2015 un certain nombre de limites à la réponse
humanitaire, notamment le nombre limité d’intervenants sociaux dans les
domaines de la protection des enfants
par exemple ; la faible coordination entre les acteurs
communautaires et les services formels de l’Etat.
Ce qui
démontre que l’Etat ne peut assurer tout seul l’entièreté des services à
fournir pour renforcer l’action des partenaires humanitaires internationaux. Il
est de ce fait impératif de prendre des mesures pour permettre la participation
de tous les acteurs susceptible
d’apporter une contribution à ce défi national. Ces mesures à prendre
revêtent un caractère impératif.
Se conformer aux normes humanitaires internationales
L’implication des acteurs locaux dans les réponses humanitaires est depuis
plusieurs décennies au cœur du plaidoyer sur l’amélioration de la qualité des
interventions humanitaires. Certaines organisations en ont fait une
priorité à l’instar de Caritas
internationalis dont le rapport 2014
recommande de financer directement les acteurs locaux.[10] La Fédération internationale des sociétés de la Croix Rouge et du
Croissant Rouge, dans le Rapport mondial sur les catastrophes de 2015 met
l’accent également sur la nécessité de placer les acteurs locaux au centre de
tout dispositif humanitaire.
Cette recommandation forte a d’ailleurs été
débattue lors du sommet humanitaire mondial organisé par les Nations Unies à Istanbul en mai 2016. Le rôle et la place de la société
civile dans les dispositifs humanitaires
sont désormais des priorités internationales.
Les
points abordés précédemment démontrent que l’Etat du Cameroun, bien qu’engagé dans
une réponse humanitaire est loin de se conformer aux recommandations qui
placent les acteurs locaux au centre des réponses humanitaires. La société
civile n’y étant pas perçue comme acteur
à part entière, il est difficile pour les populations de s’approprier la
réponse humanitaire.
Nous en déduisons que cela justifie la léthargie constatée
sur le terrain. Pour avoir des informations sur la crise il faut les rechercher
auprès des acteurs internationaux, il n’existe pas un espace de communication
entretenu par un acteur local sur cette crise qui touche 4 Régions du pays (c’est d’ailleurs la zone la plus peuplée du
Cameroun).
L’Etat du
Cameroun doit impérativement s’approprier le débat sur l’implication des
acteurs locaux et donner une place respectable à ces organisations de la
société civile qui gravitent autour la réponse aux défis humanitaires. Des
délégations officielles camerounaises ont pris part aux consultations
préparatoires au Sommet Humanitaire mondial et au sommet proprement dit, il est
de ce fait curieux de constater qu’aucune initiative officielle n’est engagée
pour responsabiliser d’avantage les acteurs locaux. Ces préoccupations
jusqu’ici sont demeurées « occidentalo- occidentales ».
Mettre sur pied un cadre légal incitatif pour les organisations de la société civile
- Le réaménagement des textes régissant la société civile
Cette démarche est un impératif pour lever les
verrous qui maintiennent certaines organisations intéressantes dans l’anonymat,
c’est une recommandation faite dans
toutes les rencontres de réflexion sur la société civile depuis des années. Le Cameroun
a besoin des compétences de tous ses citoyens, maintenir ce dispositif ne permet pas la saine émulation qui va
permettre aux OSC de faire le saut qualitatif que nous attendons d’elles. Les
ONG internationales qui se déploient sur tous les terrains humanitaires
aujourd’hui ont bénéficié des systèmes
ouverts dans leurs pays respectifs.
Empêcher
aux OSC de percevoir des subventions publiques, des dons …c’est travailler pour
maintenir celles-ci dans l’amateurisme, le clientélisme et la corruption.
Douter des compétences, de la crédibilité des organisations dans ce contexte
comme le font certaines autorités relève plus de la mauvaise foi.
Revoir
les textes dans ce secteur d’activité s’impose face à la persistance des crises
humanitaires aujourd’hui, de 93 000 déplacés internes en 2015, nous sommes
passés en 2016 à plus de 190 000, soit une augmentation de plus de 100%.
L’observation de la société internationale ne permet pas d’être optimiste quant
à la diminution des crises, il faut plutôt s’attendre à une augmentation des
foyers de tensions et de ce fait à la multiplication des crises humanitaires.
Il est judicieux de prendre des dispositions pour s’outiller et être capable de
répondre aux besoins des populations nécessiteuses.
En tant
que garant du droit, l’Etat du Cameroun a le devoir d’aménager un cadre
institutionnel qui permette à toutes les compétences de s’exprimer. Il est
important de rappeler que la capacité des Etats à apporter des réponses
efficaces repose sur la société civile qui joue un rôle primordial dans cette
dynamique.
·
Accorder le statut d’utilité
publique aux organisations engagées dans la Réponse humanitaire
Le
plaidoyer pour le renforcement des capacités locales a conduit les
organisations internationales à confier certaines de leurs activités à des
organisations locales. C’est une démarche qui vise la consolidation à long terme de l’expertise locale. Des
organisations camerounaises sont ainsi engagées dans la réponse humanitaire
depuis le début de la crise pour le compte des organisations internationales.
Ces
organisations locales acquièrent de l’expérience, un savoir-faire qui
malheureusement est dilué dans les
rapports d’activité remis à leurs mandataires. Il est important pour l’Etat du
Cameroun d’apporter un appui à ces organisations. Leur accorder le statut
d’utilité publique permet d’en faire des
relais de l’action gouvernementale dans le secteur humanitaire. Les subventions et autres potentiels financements auxquels
ouvre ce statut permettraient de
raffermir l’implantation de ces organisations, de mettre en œuvre des projets et initiatives sur fonds propres.
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Cette
reconnaissance de l’Etat relèverait non
seulement d’un travail de capitalisation des acquis, de partage d’expérience
avec d’autres organisations locales, mais aussi d’une démarche pédagogique pour
démontrer que les pouvoirs publics sont déterminés à accompagner, donner les
ressources, la capacité et les moyens d'agir aux acteurs de la société civile qui le
méritent.
On ne
peut construire une capacité locale de réponse humanitaire en abandonnant les
acteurs locaux engagés à leur sort. Ces organisations démontrent leur professionnalisme
sur le terrain, il ne fait aucun doute qu’elles disposent d’un niveau de
structuration et d’organisation interne
respectable .Nous pensons que cela témoigne de leur crédibilité et devrait
inciter les pouvoirs publics à leur accorder des missions et des moyens pour appuyer les efforts nationaux.
Après les
projets conduits pour le compte des organisations internationales, ces acteurs retourneront à la chasse aux appels à projets
pour exister, ils n’auront pas les capacités financières pour maintenir les
compétences locales recrutées dans le cadre des projets. Un tel manque de
suivi, une telle négligence est incompréhensible dans un contexte ou le
Cameroun a besoin de l’implication de tous.
Procéder par appel à propositions des projets
La critique adressée aux pouvoirs publics camerounais sur la question de la
société civile c’est que l’Etat a promulgué la loi sur les libertés associatives pour se conformer aux exigences
du contexte international aux lendemains de la chute du mur de Berlin. Il n’y a
pas eu de véritable volonté de faire émerger des acteurs autonomes au sein de
la société camerounaise. Le contexte actuel de crise humanitaire est une
opportunité de renverser cette tendance en travaillant au renforcement des
organisations de la société civile. Une approche intéressante aujourd’hui c’est
celle des appels à propositions de projets. Elle offre à tous les acteurs l’occasion
de proposer des actions susceptibles de résoudre des problèmes ponctuels.
L’Etat du Cameroun en adoptant cette démarche entrerait dans
la promotion de l’efficacité au sein de la société civile, ce serait une saine
émulation pour tous les acteurs de développement qui par ce canal peuvent se
positionner comme opérateur humanitaire pour l’Etat du Cameroun. C’est un rapprochement
positif que devrait effectuer les pouvoirs publics dans un contexte ou la mobilisation
des compétences de tous est un impératif pour le Cameroun. C’est par ailleurs
une démarche qui a fait ses preuves parce qu’elle permet aux acteurs
humanitaires internationaux d’impliquer les organisations locales dans leurs
activités.
Le fonds spécial de soutien
aux victimes des catastrophes et calamités naturelles[11] pourrait servir de levier
pour une telle dynamique, s’élevant à deux milliards de francs CFA par an, on
pourrait allouer ¼ de ces ressources pour subventionner des projets en faveur
de ces populations affligées. Les organisations locales pourraient ainsi
aborder les acteurs internationaux dans une logique de partenariat et pas
uniquement pour la sous traitance.
Nous avons la
conviction qu’une telle approche va permettre un saut qualitatif tant dans la réponse humanitaire que dans
l’implication des organisations locales. Les compétences au Cameroun sont indubitables, ce sont
malheureusement les approches pour lès valoriser qui sont à revoir. Procéder
par appels à propositions des projets c’est aller vers ces acteurs sur des bases techniques et professionnelles,
c’est permettre à ceux qui ont quelque chose à démontrer de le faire, c’est
sortir du clientélisme ou la corruption …etc.
LA RESPONSABILITE DE LA SOCIETE CIVILE CAMEROUNAISE
Le cadre inapproprié dans lequel évoluent les organisations de la
société civile est certes un facteur d’inefficacité mais il
faut déplorer l’animation interne de ce corps social. Relevant des acteurs locaux cette faible animation
est responsable de la carence d’innovation au sein de ces
organisations. Un travail important doit
être effectué pour consolider la place prépondérante des acteurs locaux,
notamment :
Valoriser les actions menées par les osc dans le cadre de la réponse humanitaire
Parmi les
acteurs engagés dans la Réponse humanitaire au Cameroun, quelques organisations
relevant de la société civile sont recensées, elles mettent en œuvre des
projets financés par les organisations internationales. C’est un travail
important qui n’est malheureusement pas suffisamment valorisé. Cette
valorisation peut être faite en plusieurs étapes.
- Regroupement des acteurs
locaux engagés sur le terrain
Le
regroupement au sein d’un collectif serait bénéfique pour les acteurs locaux
parce qu’ils demeurent jusqu’ici sous
l’ombrage des acteurs internationaux et de l’Etat. Il serait plus intéressant
d’avoir une organisation « porte-parole » qui aurait la
responsabilité d’informer les populations sur le travail effectué sur le
terrain, mener le plaidoyer auprès des autres acteurs pour plus de visibilité,
pour une prise en compte de la participation des organisations de la société
civile dans la réponse humanitaire.
Le
regroupement des acteurs locaux permettrait un meilleur suivi de l’évolution de
ces organisations et une prise de position comme acteurs humanitaires à part
entière. Dans un contexte ou le système humanitaire international est
hermétique, il est quasiment impossible pour des organisations locales de
s’exprimer individuellement.
Il est stratégiquement déplorable que ces acteurs
locaux évoluent en rangs dispersés, il leur est difficile sous cette
configuration de se positionner en interlocuteurs pertinents pour les potentiels
partenaires. Cette dispersion d’énergies ne valorise pas les efforts fournis
par ces organisations et conforte l’opinion selon laquelle elles sont peu crédibles.
Les
besoins des populations affectées
exigent la mutualisation des forces dans le champ humanitaire, un
collectif d’acteurs locaux serait une force de propositions pertinentes dans
l’élaboration des stratégies de réponse. C’est surtout un tissu
d’acteur sur lequel l’Etat du Cameroun devrait reposer pour le renforcement de
sa capacité de réponse aux situations de crises.
Impératif d’innover dans les techniques de mobilisation des ressources
L’un des
problèmes les plus importants auquel
sont confrontées les organisations de la société civile camerounaise c’est
celui de la mobilisation des ressources tant humaines que financières.
- La mobilisation des ressources financières
La mobilisation
des fonds est en effet un pilier sur lequel repose l’existence de toute
organisation, pour certains
analystes[12]
tout n’est d’ailleurs qu’une question d’argent. L’impératif d’innover dans la
recherche des financements exige aux acteurs de la société civile de nouvelles
approches et de nouveaux partenariats.
Ces
acteurs se sont jusqu’ici limités aux démarches classiques de financement
(potentielles subventions de l’Etat,
appels à proposition de projets des Organisations internationales…etc.)
qui ont toutes démontré leurs limites. Le contexte actuel exige de penser
autrement la logique de financement.
Le secteur privé par exemple ne s’est pas impliqué effectivement
dans la Réponse humanitaire au Cameroun, nous pouvons affirmer sans aucun doute
que c’est un secteur qui peut et va certainement apporter un souffle nouveau si
les acteurs locaux trouvent la bonne approche pour l’impliquer dans leurs
actions.
La
logique de financement des actions humanitaires étant quasiment inaccessible
pour les acteurs locaux, les organisations pourrait se rapprocher des « bailleurs émergents » qui depuis
quelques années se positionne dans le financement humanitaire international,
qu’est ce qui empêche de s’intéresser à
ce qu’on appelle aujourd‘hui «
humanitaire islamique » ?
Des
pistes de réflexions alternatives existent
mais une telle démarche passe nécessairement par un travail
d’information, de communication pour démontrer l’importance du travail accompli
sur le terrain.
Si les
organisations occidentales ont recours à la collecte des fonds auprès des
particuliers, le contexte économique du Cameroun peut constituer un frein pour une telle
dynamique, il incombe à la société civile de faire le travail de
sensibilisation des potentiels donateurs et surtout de garantir la transparence
des fonds récoltés et la lisibilité de toute action engagée.
Une
démarche innovante dans ce sens serait un pas de géant dans le processus de
construction d’une dynamique humanitaire locale, elle va certainement changer
la configuration du schéma humanitaire au Cameroun.
- La
mobilisation des ressources humaines
La
gestion de l’information humanitaire au Cameroun démontre qu’une grande partie de
la population n’est pas au courant de l’ampleur
réelle de la crise qui frappe le pays, la faible mobilisation populaire autour de cette question en est
l’illustration. De même l’absence des ressources humaines qualifiées au sein
des organisations locales exige un travail de mobilisation des compétences
autour de la crise humanitaire au Cameroun. Le volontariat en tant que
dynamique qui permet aux citoyens de mettre leurs capacités à la disposition
des causes d’intérêt général est un outil qui peut combler ce besoin.
En effet,
les organisations de la société civile en
général ne reposent pas sur une logique
d’adhésion populaire, elles n’ont de ce fait pas la culture de la mobilisation
à travers le volontariat ou le bénévolat qui leur permettrait d’avoir à leur
disposition des ressources humaines qualifiées dans une logique autre que celle
du salariat. La plupart des organisations humanitaires occidentales ont
longtemps reposé sur cette dynamique de volontariat.
Il
appartient aux organisations locales d’attirer l’attention des citoyens, d’aménager un cadre qui leur permette de pouvoir
accueillir des adhérents bénévoles ou
volontaires. Cette démarche de promotion
de la citoyenneté va contribuer à
consolider une capacité de réponse aux crises et surtout elle va crédibiliser
les acteurs locaux dont les ressources humaines
sont le plus souvent happées par les organisations internationales.
La
mobilisation des acteurs locaux suscite depuis plus d’une décennie de grands
débats, il est question aujourd’hui de leur accorder une plus grande place mais
aussi plus de moyens dans les Réponses
humanitaires. Analyser la place de la société civile dans le dispositif
humanitaire au Cameroun s’inscrit dans la logique de construction d’une société
civile plus forte. Il en résulte que les
acteurs locaux ne sont pas effectivement
au cœur de la réponse humanitaire au Cameroun. Cela se justifie par le
caractère restrictif des lois qui régissent les OSC, les faiblesses internes de
ces organisations, mais aussi par l’absence d’innovation, l’animation timorée de ce corps social.
Les responsabilités
s’avèrent partagées parce que si l’Etat
ne considère pas la société civile comme un potentiel acteur humanitaire, les
organisations locales elles-mêmes démontrent une incapacité de projection
stratégique. L’urgence de la situation humanitaire au Cameroun exige
aujourd’hui de construire une capacité nationale de réponse humanitaire. C’est
un travail dont la réussite dépend de la concertation entre l’Etat et la
société civile qui ont besoin l’un de l’autre. L’Etat ne peut répondre à
l’entièreté des besoins humanitaires, ce travail doit reposer sur la société
civile qui peine à se frayer un chemin dans l’opacité du système humanitaire
mondial.
Il n’est
plus acceptable que la crise qui frappe le Cameroun passe inaperçue, la société
civile et l’Etat du Cameroun doivent
jouer leurs rôles pour soulager les millions de citoyens concernés par
cette crise, Pour pouvoir également mieux capitaliser le soutien des acteurs
humanitaires internationaux.
Achille Valery MENGO
[1] La Seleka est une
coalition constituée en août 2012 de partis politiques et de forces rebelles
opposés au président centrafricain Francois Bozizé. Composée en partie de mercenaires
tchadiens, libyens et soudanais, la Seleka se caractérise par une coloration
religieuse musulmane dans une République centrafricaine dont la
population est à 80 % chrétienne. Son effectif est d'environ 20 000
personnes.
[2] Anti-balaka est
le terme utilisé pour désigner les milices d'auto-défense mises en place par
des paysans, et qui sont apparues en République centrafricaine. Formées en 2009 pour lutter contre
les coupeurs de routes, les anti-balaka prennent les armes en 2013 contre les seleka, c’est le début d’un
conflit sanglant.
[3] Boko Haram est un
mouvement salafiste djihadiste du nord-est du Nigeria ayant pour objectif d'instaurer un califat et
d'appliquer la Charia,
Le mouvement est à
l'origine de nombreux attentats et massacres à l'encontre de populations
civiles de toutes confessions, au Nigeria, au Cameroun, au
Niger et au Tchad, il est classé comme organisation térroriste par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
[4] Les déplacés internes ont été contraints d’abandonner leurs
villages en raison des inondations d’abord
et du fait des affrontements entre
les forces armées camerounaises et les membres de la secte terroriste boko haram.
[5] La société civile est l’ensemble des acteurs, des associations; des
organisations, des mouvements plus ou moins formels, qui ont un caractère non gouvernemental et non lucratif. Elle constitue une forme
d'auto-organisation de la société en initiatives citoyennes en dehors du cadre étatique ou
commercial.
[6] Arrêté
N°269 du 13 mars 2014 portant création d'un Comité interministériel ad hoc
chargé de la gestion des situations d'urgence concernant les réfugiés au
Cameroun.
[7] Etude critique comparative du cadre juridique de la société
civile au Cameroun, rapport N°1, identification des faiblesses de l’environnement légal des OSC
au Cameroun et des éléments qui limitent le plein épanouissement des OSC, PASC, Avril
2015.
[8] Mathias Eric OWONA NGUINI, La
légitimité et la crédibilité des OSC dans le nouveau contexte camerounais issu
de la tripartite, communication lors Séminaire PTF sur les
acquis de la société civile, Yaoundé 27 et 28 mai 2010.
[9] Document de synthèse élaboré
par OCHA et ses partenaires, il donne l’état des besoins humanitaires au
Cameroun chaque année.
[10] « Financer directement
les acteurs locaux : investir dans la capacité de réaction des ONG
nationales », Rapport Caritas internationalis, 2014.
[11] Le Fond de soutien aux
victimes des catastrophes et calamités naturelles a été créé en 2012 par le Président
Paul BIYA au
lendemain de sa visite aux victimes des inondations à l’Extrême Nord.
[12] Louise Redvers, tout est
question d’argent, in Irin news, 1er Juillet 2015. Disponible en
ligne sur
http://www.irinnews.org/fr/report/101702/tout-est-une-question-d%E2%80%99argent
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