mardi 23 août 2016

LA REPONSE HUMANITAIRE AU CAMEROUN : QUELLE PLACE POUR LA SOCIETE CIVILE ?

Le Cameroun depuis  2003 connait une crise humanitaire sévère du fait de l’arrivée massive des centaines de milliers de réfugiés centrafricains et Nigérians. Cette crise  a eu un  pic de croissance depuis le 1er  janvier 2014 avec la dégradation du contexte sécuritaire en République centrafricaine. En effet des affrontements et des massacres généralisés entre les milices dites « Séléka[1]»et « antibalaka[2] » ont entrainé la fuite vers le Cameroun  des  centaines de milliers de centrafricains dans la Région de l’Est Cameroun. Les  réfugiés nigérians quant à eux ont traversé la frontière dans les Régions de l’Adamaoua et l’Extrême Nord pour fuir les exactions de la secte «  boko haram[3] » qui opère dans un partie du Nord-est du Nigéria et effectue des attaques terroristes sur le territoire camerounais.
On dénombre aujourd’hui dans les Régions de l’Est, de l’Adamaoua, de L’extrême Nord plus de 300.000 réfugiés auxquels  s’ajoutent  une centaine de milliers de déplacés internes[4]. Le plan de réponse humanitaire au Cameroun pour l’année 2016 vise une population de 2.7 millions d’habitants jugés en insécurité alimentaire.
www.secours populaire .fr
Tel est le décor humanitaire du Cameroun, un dispositif  a été mis en place pour répondre à ces besoins. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) 42 acteurs sont  engagés, notamment  9 agences onusiennes, 16 Organisation non gouvernementales internationales, 6 ONG nationales, 5 institutions étatiques, 4 Mouvements Croix/Croissant Rouge et 2 Organisations Internationales. Ce recensement met en lumière la faible implication de la société civile[5]  pour un pays aussi durement touché. 
Les objectifs des organisations membres de cette société civile étant étroitement liés à l’intérêt général, et considérant que chaque année des milliers d’associations et autres sont déclarées au Cameroun, on est en droit d’attendre une « ruée » de ces acteurs au chevet des milliers de personnes nécessiteuses. Le constat de leur faible présence dans la réponse humanitaire Suscite un questionnement légitime sur les raisons d’une  telle situation. Est-ce l’illustration de l’incapacité des organisations locales ? La présente  réflexion se propose de rechercher les causes de ce phénomène en  analysant  spécifiquement cet espace social  afin  d’interpeller  les acteurs impliqués sur des potentielles voies de solutions.





LA SOCIETE CIVILE AU CAMEROUN, UN CORPS DANS LA TOURMENTE


Aborder la question de la société civile au Cameroun s’apparente à s’aventurer dans un labyrinthe tant ce sujet est complexe, cette réflexion se limite de ce fait à l’analyse de deux aspects qui nous semblent fondamentaux, notamment l’ancrage institutionnel  qui héberge ce corps social au Cameroun  et ses dispositions internes (organisationnelles).

Un encrage institutionnel contraignant pour les organisations de la société civile


Au Cameroun, les organisations relevant de la société civile engagées dans la réponse humanitaire sont peu nombreuses. Contrairement au débat en cours sur la nécessité d’impliquer les OSC locales dans les réponses humanitaires, l’Etat n’œuvre  pas clairement à  l’implication de ces organisations dans le dispositif humanitaire national. Quelques dispositions  le démontrent, notamment le dispositif légal et la non considération de la société civile comme de potentiels acteurs humanitaires.

Un dispositif légal  défavorable


Le déploiement  des organisations de la société civile au Cameroun est entravé par le  cadre légal existant. Il comporte des « tares » qui  maintiennent ce corps sociétal dans une posture inoffensive.
En effet, ces organisations  au Cameroun sont régies par les lois N°90/53 du 19 Décembre 1990 portant liberté d’association et N°99/014 du 22 Décembre 1999 régissant les Organisations non gouvernementales. Ces lois comportent des dispositions restrictives qui influencent le fonctionnement des associations déclarées. L’article 11  de la loi de 1990 dispose par exemple que :
 « Hormis les associations reconnues d’utilité publique, aucune association déclarée ne peut recevoir ni subventions des personnes publiques, ni dons, ni legs des personnes privées ».
En d’autres termes, aucune association déclarée ne peut aspirer à se doter de moyens financiers extérieurs si elle n’est pas « adoubée » par le Président de la République qui est le seul à pouvoir octroyer par décret le statut « d’utilité publique »  permettant  de bénéficier des subventions de l’Etat. On peut déduire que pour exister effectivement sur le terrain, il faut avoir la bénédiction des pouvoirs publics.
 Bien que des millions d’associations soient déclarées  au Cameroun, il n’est pas surprenant que seule une poignée émerge  en posant des actions concrètes. Le nombre d’associations déclarées dans les Régions de l’Est, l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême Nord  touchées par la crise donnerait le tournis à n’importe qui mais sur le terrain elles sont inexistantes. Incapables de se prendre en charge.
 Il en découle l’instrumentalisation, la politisation des associations et autres ONG pour des intérêts privés souvent très éloignés de l’action sociale ou de l’amélioration des conditions de vie des populations annoncées dans les statuts et règlements intérieurs.

La Non considération  de la Société Civile comme potentiel  acteurs  humanitaires


Une situation de crise humanitaire interpelle des acteurs divers, nationaux ou internationaux, l’Etat du Cameroun en tant que garant du bien-être des populations a la responsabilité de coordonner les efforts de tous les acteurs disponibles. Un Comité interministériel ad hoc chargé de la gestion des situations d'urgence concernant les réfugiés au Cameroun[6] a de ce fait été mis en place, il est présidé par le Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et a pour membre : Le Ministre des Relations Extérieures; le Ministre Délégué à la Présidence, chargé de la Défense ; le Ministre de la Santé Publique; le Ministre chargé de Mission, Secrétaire Permanent du Conseil National de Sécurité;  le Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de la Défense, chargé de la Gendarmerie Nationale; le Délégué Général à la Sûreté Nationale; le Directeur Général de la Recherche Extérieure.
 La société civile n’est mentionnée nulle part dans la liste des membres de ce comité en charge de coordonner tous les efforts, toutes les capacités susceptibles de contribuer à la réponse que l’Etat du Cameroun  apporte à cette crise humanitaire.
 Le fait que ce comité soit chargé d’assurer la concertation entre le gouvernement et les institutions internationales pour une gestion harmonieuse de la situation d’urgence concernant les réfugiés au Cameroun démontre la place négligeable accordée à la société civile par l’Etat du Cameroun.
C’est l’occasion de préciser que les organisations locales recensées par OCHA dans la Réponse humanitaire au Cameroun y figurent parce qu’elles ont réussi à obtenir des financements lors des  appels à projets lancés par certaines organisations humanitaires internationales. Elles sont de ce fait en sous-traitance  le temps de la durée d’un projet. Il serait difficile d’en trouver une  engagée sur le terrain avec ses moyens propres.
Le cadre institutionnel dont nous avons analysé deux aspects n’est pas favorable à l’implication effective de la société civile camerounaise dans la réponse à la crise humanitaire qui frappe le pays. Tenue dans l’incapacité de financer des actions, il n’est pas abusif de parler de « clochardisation  de la société civile au Cameroun ». C’est ce qui explique la course aux financements internationaux qui s’observe au sein de ces organisations  maintenues en mode  «survie » depuis 1990.
Force est de constater que les organisations de la société civile ne sont pas prises en compte comme de potentiels acteurs humanitaires par l’Etat qui s’est doté d’un comité interministériel pour la collaboration avec les Organisations Internationales. Aucun cadre n’a été mis en place pour harmoniser les potentiels efforts locaux dans cette crise dont les chiffres sont  plus préoccupants d’années en années.

Les défaillances organisationnelles  au sein  de la société civile au Cameroun


Au-delà  de l’encrage institutionnel  défavorable, l’efficacité relative des organisations de la société civile dans le domaine humanitaire peut aussi etre une conséquence logique des défaillances organisationnelles diverses.

 Absence de transparence dans  la gestion  des ressources


La précarité financière dans laquelle évoluent les organisations de la société civile au Cameroun est accentuée  par l’absence de transparence dans  la gestion des ressources. Il est fréquent de constater des échecs dans les projets pour mauvaise gestion. Les OSC pour la plupart ne disposent  pas de capacités de gestion conformes aux normes internationales, d’où la profusion d’initiatives de renforcement des capacités de ces OSC, nous pensons ici au Programme d’Appui à la Société Civile (PASC) initié par l’Union Européenne pendant plusieurs années.
 Ces limites sont aussi structurelles parce que beaucoup d’organisations sont unipersonnelles, elles ne disposent pas de sièges et se déploient selon les opportunités qui se présentent. La littérature sur ces freins au développement de la société civile au Cameroun est riche[7], nous pouvons effectivement citer la formation  approximative des acteurs associatifs, l’incapacité des associations à mener des actions de grande envergure, la faible expertise locale que nous n’aborderons pas ici bien qu’ils fragilisent grandement ces organisations. Nous choisissons d’aborder des aspects qui n’ont pas  été suffisamment développés, notamment :

La question de la légitimité  des organisations de la société civile au Cameroun.


Les promoteurs associatifs lorsqu’ils entreprennent de se regrouper au sein d’une association se préoccupent prioritairement de  la conformité juridique de leurs dossiers, chose qui peut être garantie par les conseils  d’un professionnel. Il y a cependant une dimension fondamentale  de la vie associative qui est négligée, celle de sa légitimité. 
En effet, la majorité des organisations ne basent pas leurs activités sur l’adhésion des populations. Des efforts considérables  sont fournis pour maitriser des techniques et stratégies pour capter l’attention des bailleurs occidentaux, mais très peu se soucient de l’opinion des populations locales pour lesquelles elles prétendent travailler.
Nul besoin de rappeler que les organisations qui reposent sur une adhésion massive des populations sont plus intéressantes aux yeux des bailleurs qui ont l’opportunité de mener des actions de grande portée. Ce n’est pas un abus de notre part de dire que l’approche du développement de la majorité des organisations camerounaises est essentiellement « extravertie » dans la mesure où les énergies sont déployées pour attirer l’attention des acteurs extérieurs, et non pour susciter l’adhésion locale.
Porter une vision, la faire partager par les populations est un challenge pour les acteurs de développement qui démontre ainsi leur perception limitée de la question associative.

La question du management  stratégique


Le déploiement d’une organisation obéit à des règles bien établies dans le cadre d’une stratégie. Force est de constater que cet aspect du management est une des plus grosses faiblesses  de la société civile camerounaise. Sur le plan humanitaire spécifiquement, très peu d’acteurs ont une bonne connaissance du système humanitaire international. Il est alors un peu hasardeux de prétendre mener des actions dans une dynamique sans la connaitre. Les  organisations camerounaises  qui se retrouvent aux cotés des acteurs internationaux sont celles qui ont pu postuler à un appel à projet pour appuyer l’action d’une organisation internationale quelconque.
Nous critiquons le dispositif juridique  mais il faut reconnaitre que ces OSC n’excellent pas dans l’innovation des stratégies de mobilisation des fonds pour leurs activités. Très peu d’organisations sont capables de mener des actions de fundrising parce qu’elles ne reposent pas sur des dynamiques de solidarité locales, il leur est difficile d’impliquer des donateurs locaux, d’autant plus que cette culture participative n’est pas encore encrée dans les mentalités.
 Ces lacunes condamnent les OSC à dépendre du lobbying politique de leurs promoteurs pour obtenir des soutiens multiformes, les plus ingénieux sont contraints à la sous traitance auprès des Organisations internationales. C’est ce qui fait dire au politologue Mathias Owona Nguini[8] :
 « Les organes sociaux civils et citoyens camerounais souffrent de sérieux problèmes de gouvernance organisationnelle, stratégique et programmatique qui en relativisent la réputation et affaiblissent leur capacité d’action collective en les inscrivant au final dans les filets d’une « société de cour ». »

Les faiblesses de la société civile sont multiples, elles traduisent cependant un malaise plus profond sur la place accordée aux acteurs non étatiques au Cameroun.

POUR  UNE  DYNAMIQUE  HUMANITAIRE  LOCALE  EFFICACE : UNE RESPONSABILITE  PARTAGEE


Construire une dynamique humanitaire locale au Cameroun est  un impératif aujourd’hui pour satisfaire les besoins des centaines de milliers de nécessiteux et surtout anticiper les crises futures. Ce travail interpelle non seulement les pouvoirs publics mais également la société civile.

LA RESPONSABILITE DE L’ETAT DU CAMEROUN


Malgré le dispositif humanitaire en place pour répondre aux besoins sans cesse croissants, l’aperçu des besoins humanitaires au Cameroun[9] soulevait déjà en  2015 un certain nombre de limites à la réponse humanitaire, notamment le nombre limité d’intervenants sociaux dans les domaines de la protection des enfants  par exemple ; la faible coordination entre les acteurs communautaires et les services formels de l’Etat.
Ce qui démontre que l’Etat ne peut assurer tout seul l’entièreté des services à fournir pour renforcer l’action des partenaires humanitaires internationaux. Il est de ce fait impératif de prendre des mesures pour permettre la participation de tous les acteurs  susceptible d’apporter une contribution à ce défi national. Ces mesures à prendre revêtent  un caractère  impératif.

Se conformer aux normes humanitaires internationales


L’implication des acteurs locaux  dans les réponses humanitaires est depuis plusieurs décennies au cœur du plaidoyer sur l’amélioration de la qualité des interventions humanitaires. Certaines organisations en ont fait une priorité  à l’instar de Caritas internationalis dont le rapport  2014 recommande de financer directement les acteurs locaux.[10] La Fédération   internationale  des sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, dans le Rapport mondial sur les catastrophes de 2015 met l’accent également sur la nécessité de placer les acteurs locaux au centre de tout dispositif humanitaire.
 Cette recommandation forte a d’ailleurs été débattue lors du sommet humanitaire mondial organisé par les Nations Unies  à Istanbul en mai  2016. Le rôle et la place de la société civile  dans les dispositifs humanitaires sont désormais des priorités internationales.
Les points abordés précédemment démontrent  que l’Etat du Cameroun, bien qu’engagé dans une réponse humanitaire est loin de se conformer aux recommandations qui placent les acteurs locaux au centre des réponses humanitaires. La société civile n’y étant  pas perçue comme acteur à part entière, il est difficile pour les populations de s’approprier la réponse humanitaire.
 Nous en déduisons que cela justifie la léthargie constatée sur le terrain. Pour avoir des informations sur la crise il faut les rechercher auprès des acteurs internationaux, il n’existe pas un espace de communication entretenu par un acteur local sur cette crise qui touche 4 Régions du pays  (c’est d’ailleurs la zone la plus peuplée du Cameroun).
L’Etat du Cameroun doit impérativement s’approprier le débat sur l’implication des acteurs locaux et donner une place respectable à ces organisations de la société civile qui gravitent autour la réponse aux défis humanitaires. Des délégations officielles camerounaises ont pris part aux consultations préparatoires au Sommet Humanitaire mondial et au sommet proprement dit, il est de ce fait curieux de constater qu’aucune initiative officielle n’est engagée pour responsabiliser d’avantage les acteurs locaux. Ces préoccupations jusqu’ici sont demeurées « occidentalo- occidentales ». 

Mettre sur pied un cadre  légal  incitatif pour les organisations de la société civile



  • Le réaménagement des textes régissant la société civile

 Cette démarche est un impératif pour lever les verrous qui maintiennent certaines organisations intéressantes dans l’anonymat, c’est une recommandation  faite dans toutes les rencontres de réflexion sur la société civile depuis des années. Le Cameroun a besoin des compétences de tous ses citoyens, maintenir ce dispositif  ne permet pas la saine émulation qui va permettre aux OSC de faire le saut qualitatif que nous attendons d’elles. Les ONG internationales qui se déploient sur tous les terrains humanitaires aujourd’hui  ont bénéficié des systèmes ouverts  dans leurs pays respectifs.
Empêcher aux OSC de percevoir des subventions publiques, des dons …c’est travailler pour maintenir celles-ci dans l’amateurisme, le clientélisme et la corruption. Douter des compétences, de la crédibilité des organisations dans ce contexte comme le font certaines autorités relève plus de la mauvaise foi.
Revoir les textes dans ce secteur d’activité s’impose face à la persistance des crises humanitaires aujourd’hui, de 93 000 déplacés internes en 2015, nous sommes passés en 2016 à plus de 190 000, soit une augmentation de plus de 100%. L’observation de la société internationale ne permet pas d’être optimiste quant à la diminution des crises, il faut plutôt s’attendre à une augmentation des foyers de tensions et de ce fait à la multiplication des crises humanitaires. Il est judicieux de prendre des dispositions pour s’outiller et être capable de répondre aux besoins des populations nécessiteuses.
En tant que garant du droit, l’Etat du Cameroun a le devoir d’aménager un cadre institutionnel qui permette à toutes les compétences de s’exprimer. Il est important de rappeler que la capacité des Etats à apporter des réponses efficaces repose sur la société civile qui joue un rôle primordial dans cette dynamique.

·        Accorder le statut d’utilité publique aux organisations engagées dans la Réponse humanitaire


Le plaidoyer pour le renforcement des capacités locales a conduit les organisations internationales à confier certaines de leurs activités à des organisations locales. C’est une démarche qui vise la consolidation  à long terme de l’expertise locale. Des organisations camerounaises sont ainsi engagées dans la réponse humanitaire depuis le début de la crise pour le compte des organisations  internationales.
Ces organisations locales acquièrent de l’expérience, un savoir-faire qui malheureusement  est dilué dans les rapports d’activité remis à leurs mandataires. Il est important pour l’Etat du Cameroun d’apporter un appui à ces organisations. Leur accorder le statut d’utilité publique  permet d’en faire des relais de l’action gouvernementale dans le secteur humanitaire.  Les subventions  et autres potentiels financements auxquels ouvre ce statut permettraient  de raffermir l’implantation de ces organisations, de mettre en œuvre  des projets et initiatives sur fonds  propres.
Croix Rouge .fr
Cette reconnaissance de l’Etat relèverait  non seulement d’un travail de capitalisation des acquis, de partage d’expérience avec d’autres organisations locales, mais aussi d’une démarche pédagogique pour démontrer que les pouvoirs publics sont déterminés à accompagner, donner les ressources, la capacité et les moyens d'agir  aux acteurs de la société civile qui le méritent.
On ne peut construire une capacité locale de réponse humanitaire en abandonnant les acteurs locaux engagés à leur sort. Ces organisations démontrent leur professionnalisme sur le terrain, il ne fait aucun doute qu’elles disposent d’un niveau de structuration  et d’organisation interne respectable .Nous pensons que cela témoigne de leur crédibilité et devrait inciter les pouvoirs publics à leur accorder des  missions et des moyens  pour appuyer les efforts nationaux.
Après les projets conduits pour le compte des organisations internationales, ces acteurs  retourneront à la chasse aux appels à projets pour exister, ils n’auront pas les capacités financières pour maintenir les compétences locales recrutées dans le cadre des projets. Un tel manque de suivi, une telle négligence est incompréhensible dans un contexte ou le Cameroun a besoin de l’implication de tous.

Procéder par appel à propositions des projets


La critique adressée aux pouvoirs  publics camerounais sur la question de la société civile c’est que l’Etat a promulgué la loi sur les libertés  associatives pour se conformer aux exigences du contexte international aux lendemains de la chute du mur de Berlin. Il n’y a pas eu de véritable volonté de faire émerger des acteurs autonomes au sein de la société camerounaise. Le contexte actuel de crise humanitaire est une opportunité de renverser cette tendance en travaillant au renforcement des organisations de la société civile. Une approche intéressante aujourd’hui c’est celle des appels à propositions de projets. Elle offre à tous les acteurs l’occasion de proposer des actions susceptibles de résoudre des problèmes ponctuels.
L’Etat du Cameroun en adoptant cette démarche entrerait dans la promotion de l’efficacité au sein de la société civile, ce serait une saine émulation pour tous les acteurs de développement qui par ce canal peuvent se positionner comme opérateur humanitaire pour l’Etat du Cameroun. C’est un rapprochement positif que devrait effectuer les pouvoirs  publics dans un contexte ou la mobilisation des compétences de tous est un impératif pour le Cameroun. C’est par ailleurs une démarche qui a fait ses preuves parce qu’elle permet aux acteurs humanitaires internationaux d’impliquer les organisations locales dans leurs activités.
Le fonds spécial de soutien  aux victimes des catastrophes et calamités naturelles[11] pourrait servir de levier pour une telle dynamique, s’élevant à deux milliards de francs CFA par an, on pourrait allouer ¼ de ces ressources pour subventionner des projets en faveur de ces populations affligées. Les organisations locales pourraient ainsi aborder les acteurs internationaux dans une logique de partenariat et pas uniquement  pour la sous traitance.
Nous avons la conviction qu’une telle approche va permettre un saut qualitatif  tant dans la réponse humanitaire que dans l’implication des organisations locales. Les compétences  au Cameroun sont indubitables, ce sont malheureusement les approches pour lès valoriser qui sont à revoir. Procéder par appels à propositions des projets c’est aller vers ces acteurs  sur des bases techniques et professionnelles, c’est permettre à ceux qui ont quelque chose à démontrer de le faire, c’est sortir du clientélisme ou la corruption …etc.     

LA RESPONSABILITE DE LA SOCIETE CIVILE CAMEROUNAISE


Le cadre inapproprié  dans lequel évoluent les organisations de la société civile est certes un facteur d’inefficacité  mais  il faut déplorer l’animation interne de ce corps social. Relevant  des acteurs locaux cette faible animation est  responsable de  la carence d’innovation au sein de ces organisations. Un travail important  doit être effectué pour consolider la place prépondérante des acteurs locaux, notamment :

Valoriser les actions menées par les osc dans le cadre de la réponse humanitaire


Parmi les acteurs engagés dans la Réponse humanitaire au Cameroun, quelques organisations relevant de la société civile sont recensées, elles mettent en œuvre des projets financés par les organisations internationales. C’est un travail important qui n’est malheureusement pas suffisamment valorisé. Cette valorisation peut être faite en plusieurs étapes.

  • Regroupement des acteurs locaux engagés sur le terrain

Le regroupement au sein d’un collectif serait bénéfique pour les acteurs locaux parce qu’ils demeurent  jusqu’ici sous l’ombrage des acteurs internationaux et de l’Etat. Il serait plus intéressant d’avoir une organisation « porte-parole » qui aurait la responsabilité d’informer les populations sur le travail effectué sur le terrain, mener le plaidoyer auprès des autres acteurs pour plus de visibilité, pour une prise en compte de la participation des organisations de la société civile dans la réponse humanitaire.
Le regroupement des acteurs locaux permettrait un meilleur suivi de l’évolution de ces organisations et une prise de position comme acteurs humanitaires à part entière. Dans un contexte ou le système humanitaire international est hermétique, il est quasiment impossible pour des organisations locales de s’exprimer individuellement. 
Il est stratégiquement déplorable que ces acteurs locaux évoluent en rangs dispersés, il leur est difficile sous cette configuration de se positionner en interlocuteurs pertinents pour les potentiels partenaires. Cette dispersion d’énergies ne valorise pas les efforts fournis par ces organisations et conforte l’opinion selon laquelle elles sont peu crédibles.
Les besoins des populations affectées  exigent la mutualisation des forces dans le champ humanitaire, un collectif d’acteurs locaux serait une force de propositions pertinentes dans l’élaboration des stratégies de réponse. C’est surtout un tissu d’acteur sur lequel l’Etat du Cameroun devrait reposer pour le renforcement de sa capacité de réponse aux situations de crises.

Impératif d’innover dans les techniques de mobilisation des ressources


L’un des problèmes  les plus importants auquel sont confrontées les organisations de la société civile camerounaise c’est celui de la mobilisation des ressources tant humaines que  financières.

  • La mobilisation des ressources financières
La mobilisation des fonds est en effet un pilier sur lequel repose l’existence de toute organisation,  pour certains analystes[12] tout n’est d’ailleurs qu’une question d’argent. L’impératif d’innover dans la recherche des financements exige aux acteurs de la société civile de nouvelles approches et de nouveaux partenariats.
Ces acteurs se sont jusqu’ici limités aux démarches classiques de financement (potentielles subventions de l’Etat,  appels à proposition de projets des Organisations internationales…etc.) qui ont toutes démontré leurs limites. Le contexte actuel exige de penser autrement la logique de financement.
 Le secteur  privé par exemple ne s’est pas impliqué effectivement dans la Réponse humanitaire au Cameroun, nous pouvons affirmer sans aucun doute que c’est un secteur qui peut et va certainement apporter un souffle nouveau si les acteurs locaux trouvent la bonne approche pour l’impliquer dans leurs actions.
La logique de financement des actions humanitaires étant quasiment inaccessible pour les acteurs locaux, les organisations pourrait se rapprocher des  «  bailleurs émergents » qui depuis quelques années se positionne dans le financement humanitaire international, qu’est ce qui empêche  de s’intéresser à ce qu’on appelle  aujourd‘hui «  humanitaire islamique » ?
Des pistes de réflexions alternatives existent  mais une telle démarche passe nécessairement par un travail d’information, de communication pour démontrer l’importance du travail accompli sur le terrain.
Si les organisations occidentales ont recours à la collecte des fonds auprès des particuliers, le contexte économique du Cameroun  peut constituer un frein pour une telle dynamique, il incombe à la société civile de faire le travail de sensibilisation des potentiels donateurs et surtout de garantir la transparence des fonds récoltés et la lisibilité de toute action engagée.
Une démarche innovante dans ce sens serait un pas de géant dans le processus de construction d’une dynamique humanitaire locale, elle va certainement changer la configuration du schéma humanitaire au Cameroun.

  • La mobilisation des ressources humaines
La gestion de l’information humanitaire au Cameroun démontre qu’une grande partie de la population n’est pas au courant de l’ampleur  réelle de la crise qui frappe le pays, la faible mobilisation  populaire autour de cette question en est l’illustration. De même l’absence des ressources humaines qualifiées au sein des organisations locales exige un travail de mobilisation des compétences autour de la crise humanitaire au Cameroun. Le volontariat en tant que dynamique qui permet aux citoyens de mettre leurs capacités à la disposition des causes d’intérêt général est un outil qui peut combler ce besoin.
En effet, les organisations de la société civile en général ne reposent  pas sur une logique d’adhésion populaire, elles n’ont de ce fait pas la culture de la mobilisation à travers le volontariat ou le bénévolat qui leur permettrait d’avoir à leur disposition des ressources humaines qualifiées dans une logique autre que celle du salariat. La plupart des organisations humanitaires occidentales ont longtemps reposé sur cette dynamique de volontariat.
Il appartient aux organisations locales d’attirer l’attention des  citoyens, d’aménager  un cadre qui leur permette de pouvoir accueillir  des adhérents bénévoles ou volontaires. Cette démarche  de promotion de la citoyenneté va contribuer  à consolider une capacité de réponse aux crises et surtout elle va crédibiliser les acteurs locaux dont les ressources humaines  sont le plus souvent happées par les organisations internationales.




La mobilisation des acteurs locaux suscite depuis plus d’une décennie de grands débats, il est question aujourd’hui de leur accorder une plus grande place mais aussi plus de moyens  dans les Réponses humanitaires. Analyser la place de la société civile dans le dispositif humanitaire au Cameroun s’inscrit dans la logique de construction d’une société civile plus forte. Il en résulte  que les acteurs locaux ne sont pas effectivement  au cœur de la réponse humanitaire au Cameroun. Cela se justifie par le caractère restrictif des lois qui régissent les OSC, les faiblesses internes de ces organisations, mais aussi par l’absence d’innovation, l’animation timorée  de ce corps social.
Les responsabilités s’avèrent  partagées parce que si l’Etat ne considère pas la société civile comme un potentiel acteur humanitaire, les organisations locales elles-mêmes  démontrent une incapacité de projection stratégique. L’urgence de la situation humanitaire au Cameroun exige aujourd’hui de construire une capacité nationale de réponse humanitaire. C’est un travail dont la réussite dépend de la concertation entre l’Etat et la société civile qui ont besoin l’un de l’autre. L’Etat ne peut répondre à l’entièreté des besoins humanitaires, ce travail doit reposer sur la société civile qui peine à se frayer un chemin dans l’opacité du système humanitaire mondial.
Il n’est plus acceptable que la crise qui frappe le Cameroun passe inaperçue, la société civile et l’Etat du Cameroun doivent  jouer leurs rôles pour soulager les millions de citoyens concernés par cette crise, Pour pouvoir également mieux capitaliser le soutien des acteurs humanitaires internationaux.


Achille Valery MENGO





[1]  La Seleka est une coalition constituée en août 2012 de partis politiques et de forces rebelles opposés au président centrafricain Francois Bozizé. Composée en partie de mercenaires tchadiens, libyens et soudanais, la Seleka se caractérise par une coloration religieuse musulmane dans une République centrafricaine dont la population est à 80 % chrétienne. Son effectif est d'environ 20 000 personnes.

[2] Anti-balaka est le terme utilisé pour désigner les milices d'auto-défense mises en place par des paysans, et qui sont apparues en République centrafricaine. Formées en 2009 pour lutter contre les coupeurs de routes, les anti-balaka prennent les armes en 2013 contre les seleka, c’est le début d’un conflit sanglant.

[3] Boko Haram est un mouvement salafiste djihadiste du nord-est du Nigeria ayant pour objectif d'instaurer un califat et d'appliquer la Charia, Le mouvement est à l'origine de nombreux attentats et massacres à l'encontre de populations civiles de toutes confessions, au Nigeria, au Cameroun, au Niger et au Tchad, il est classé comme organisation térroriste par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

[4] Les déplacés internes  ont été contraints d’abandonner leurs villages en raison des inondations d’abord  et du fait  des affrontements entre les forces armées camerounaises et les membres de la secte terroriste  boko haram.

[5] La société civile est l’ensemble  des acteurs, des associations; des organisations, des mouvements plus ou moins formels, qui ont un caractère non gouvernemental et non lucratif. Elle constitue une forme d'auto-organisation de la société en initiatives citoyennes en dehors du cadre étatique ou commercial.

[6]  Arrêté N°269 du 13 mars 2014 portant création d'un Comité interministériel ad hoc chargé de la gestion des situations d'urgence concernant les réfugiés au Cameroun.

[7]  Etude critique  comparative du cadre juridique de la société civile au Cameroun, rapport N°1, identification des faiblesses de l’environnement légal des OSC au Cameroun et des éléments qui limitent le plein épanouissement des OSC, PASC, Avril 2015.

[8] Mathias Eric OWONA NGUINI, La légitimité et la crédibilité des OSC dans le nouveau contexte camerounais issu de la   tripartite, communication lors Séminaire PTF sur les acquis de la société civile, Yaoundé 27 et 28 mai 2010.

[9] Document de synthèse élaboré par OCHA et ses partenaires, il donne l’état des besoins humanitaires au Cameroun chaque année.

[10] « Financer directement les acteurs locaux : investir dans la capacité de réaction des ONG nationales », Rapport Caritas internationalis, 2014.

[11] Le Fond de soutien aux victimes des catastrophes et calamités naturelles a été créé  en 2012 par le Président
 Paul BIYA au lendemain de sa visite aux victimes des inondations à l’Extrême Nord.

[12] Louise Redvers, tout est question d’argent, in Irin news, 1er Juillet 2015. Disponible en ligne sur http://www.irinnews.org/fr/report/101702/tout-est-une-question-d%E2%80%99argent

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