dimanche 23 octobre 2022

LE VOLONTARIAT DE RECIPROCITE INTERNATIONALE : ENTRE MOBILITES CROISEES ET RESPONSABILITES PARTAGEES


L’environnement de la coopération internationale est marqué depuis les deux dernières décennies par la consécration du champs lexical du changement, on parle de renouvellement des relations entre pays. De la commission de l’Union Africaine en 2017 qui parle de « l’Afrique que nous voulons[1] », au dernier sommet Afrique -France[2], où il a été question de redéfinir ensemble les fondamentaux des relations entre la France et l’Afrique, le discours est le même ! il faut Coopérer différemment.   C’est de bon augure, entend -on dire dans toutes les plateformes et autres fora engagés. Ce changement porte bien évidemment sur tous les secteurs de la coopération, notamment celui des engagements citoyens que la présente réflexion se propose d’aborder en général et du volontariat français en particulier qui sont sujets eux aussi à de fortes controverses.

L’un des éléments marquant du changement en cours dans le secteur du volontariat c’est l’impératif de la réciprocité aujourd’hui dans ce domaine. Plusieurs acteurs en ont fait une priorité pour les années avenirs. Dans un tel environnement l’on pourrait s’interroger sur les enjeux de cette réciprocité, pourquoi en parle-t-on aujourd’hui ? qu’est-ce qu’elle implique ? quelle est la responsabilité des acteurs nationaux dans cette dynamique ?

1    Petit rappel historique

Le volontariat français est présent au Cameroun depuis 1966, année de déploiement des premiers volontaires au Cameroun sous la bannière de l’Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP)[3], c’est un axe de coopération qui a permis la mobilité de plusieurs milliers de jeunes français au Cameroun en tant que volontaires au sein des projets et programmes portés par divers acteurs. Cependant une revendication a vu le jour progressivement et a fait remettre en question ce modèle de coopération cinquantenaire, L’exigence de la réciprocité !

Pour dire que le volontariat international n’a de sens que lorsqu’il permet la rencontre et l’enrichissement interculturel, professionnel. etc, de ce point de vue la France devrait elle aussi accueillir des jeunes d’autres pays d’Afrique ou d’Asie sur son territoire dans le cadre du volontariat. Des mesures ont été prises à cet effet et la loi sur le Service Civique[4] français a constitué un pas important car elle permet au pays qui accueillent des volontaires de Service Civique français de déployer des volontaires en France. Un récent décret[5] a ouvert le volontariat de solidarité internationale à la réciprocité et cela est effectif depuis Aout 2022.

Quelques initiatives ont déjà été mises en œuvre dans le sens de cette mobilité croisée depuis quelques temps, nous pensons ici au projet africa 2020 qui a mobilisé une jeune camerounaise pour une mission de service civique dans la ville de Metz en 2021. Un projet porté par France Volontaires.

En d’autres termes un cadre légal favorable à l’envoi des volontaires camerounais en France est une réalité depuis plusieurs années, on est en droit de se demander quelles sont les dispositions légales au Cameroun qui pourraient permettre la mise en œuvre de cette réciprocité ? Lequel des acteurs nationaux, Agence de Service Civique Nationale et Programme National de Volontariat du Cameroun a mandat pour déployer des Camerounais hors du Cameroun comme volontaires internationaux ?

2    Les enjeux de la mobilité croisée

La mobilité croisée dans les engagements citoyens entre la France et le Cameroun repose sur un principe : ce que les jeunes français viennent faire au Cameroun durant leur mission de volontariat, des jeunes camerounais devraient aller faire la même chose en France dans les mêmes conditions. Cela pour rester en cohérence avec les discours qui animent les mobilités Nord-Sud. En effet un volontaire parce qu’il va à la rencontre des autres est porteur des valeurs de citoyenneté mondiale, il apporte sa contribution aux actions de développement local, il participe à déconstruire des préjugés établis par des pans de l’histoire, il est le premier ambassadeur de son pays au sein de sa communauté d’accueil.

De ce fait, dans la construction d’une logique d’équité et d’égalité il est aujourd’hui impératif de mettre en œuvre ces mobilités dans les deux sens, Nord-Sud et Sud-Nord car de même que la société française a besoin d’être édifiée sur certains aspects de la culture des autres pays, la société camerounaise a besoin de déconstruire le mythe de l’el dorado européen. La mise ensemble des jeunesses de tout âges est un outil majeur pour faciliter la communication entre les personnes et déconstruire les préjugés.

C’est surtout un enjeu central pour construire une nouvelle relation entre les peuples camerounais et français, une relation basée sur la rencontre, l’échange et le partage, la mutualisation des efforts. C’est un outil pour sortir des carcans d’une histoire commune mal vécue par les jeunesses, porteuse de révoltes et de crises diverses.

3    Des responsabilités partagées

C’est une chose de parler de réciprocité dans les dispositifs de volontariats entre la France et le Cameroun, s’en est une autre de la mettre en œuvre, ce point précis interpelle non seulement les deux Etats concernés, mais aussi les sociétés civiles à plusieurs niveaux.

Pour les Etats il s’agit de la mise en place d’un cadre juridique favorable à ces mobilités et la mise à disposition des moyens suffisants pour la mise en œuvre de cette volonté politique, tout cela passe par un positionnement politique réel avec des orientations claires pour le déploiement d’une dynamique de mobilités croisées. Nous avons évoqué coté français des dispositions légales existantes favorables à la réciprocité, coté camerounais si on peut saluer l’adoption d’une loi régissant le volontariat national en 2021, nous attendons toujours son décret d’application et un positionnement réel par les actes sur la question du volontariat de réciprocité. Le rôle de l’Etat dans cette dynamique nouvelle est transversal, certains aspects comme le cadre de déploiement des OSC reste à mettre à jour au Cameroun.

Les sociétés civiles ont un rôle très important à jouer parce qu’elles sont au cœur de la dynamique de développement et de volontariat spécifiquement. Ces organisations sont confrontées au « rêve européen » par exemple qui aujourd’hui a entrainé un drame à ciel ouvert pour le continent africain. Pour qu’une dynamique de volontariat de réciprocité soit mise en œuvre il est important que ces préjugés soient déconstruits.  Dans un contexte du « paris à tout prix » comment construire des partenariats solides et durables entre acteurs français qui pourraient recevoir des volontaires camerounais et structures camerounaises ? Si une réponse est trouvée à cette question nous pensons que la mobilité croisée a de beaux jours devant elle.

La structuration des organisations de la société civile jouerait un grand rôle dans la dynamique de mobilités croisées parce qu’elle garantirait la qualité des projets montés, il faut des acteurs fiables, ayant une bonne connaissance des mécanismes de financement des projets par exemple. Des acteurs qui disposent des capacités financières ont généralement une plus grande marge de manœuvre et de déploiement.

Les OSC devraient être des forces de propositions de projets et capables de les mettre en œuvre, lorsqu’on connait la situation des OSC et le cadre qui les accompagne il y a lieu d’avoir quelques réserves quant aux possibilités des OSC camerounaises.

4    Evitons un énième débat Nord-sud

Dans ce contexte de changement de paradigmes de la coopération Cameroun- France il est important que toutes les problématiques soient adressées par les deux parties. Si la littérature sur la problématique du volontariat de réciprocité est plus ou moins abondante coté français, il y a tout de même un silence impressionnant autour de cette problématique coté camerounais, très peu d’auteurs d’articles, peu ou pas d’ouvrages, encore moins de positionnement scientifique autour de cette question.

Dans un tel environnement nous pouvons dire sans hésitation que le débat autour du volontariat de réciprocité n’est pas une initiative camerounaise. Cependant il représente une opportunité pour les acteurs nationaux soucieux de promouvoir les engagements citoyens dans une logique d’égal à égal. Il ne faudrait pas que le volontariat de réciprocité soit une initiative venue d’ailleurs comme l’essentiel des orientations données aux accords de coopération qui sont décriés partout sur le continent africain.

 

A l’aube d’une nouvelle ère dans la coopération entre les pays, les cartes vont être redistribuées sur la table de la société internationale. Si les bases des anciens schémas de coopération ont été jadis pensées par l’occident, ce schéma a montré ses limites. Il est de ce fait question de construire la coopération qui nous convient, dans le domaine spécifique du volontariat, l’ouverture à la réciprocité est un impératif catégorique qui nécessite tout de même une grosse implication de la part de l’Etat et des autres acteurs de l’écosystème du volontariat au Cameroun. La partie camerounaise doit jouer un rôle plus actif, être une force de proposition et d’initiatives. C’EST UNE AFFAIRE DE TOUS !

 



[1] « L’Afrique que nous voulons » c’est le slogan qui porte l’agenda 2063 de l’Union africaine : l’Agenda 2063 représente le cadre stratégique de développement de l’Afrique à l’horizon 2063. 

[2] Le Nouveau Sommet Afrique-France s’est tenu à Montpellier du 7 au 9 octobre 2021. Cette rencontre a reposé sur un Nouveau format, de nouveaux acteurs… avec pour objectif de porter un regard neuf sur la relation entre l’Afrique et la France pour offrir un nouveau cadre de réflexion et d’action aux nouvelles générations.

[3] L’association française des volontaires du progrès est créée en 1963 par le général DEGAULLE, elle prend l’appellation France Volontaires en 2009

[4] LOI n° 2010-241 du 10 mars 2010 relative au service civique

[5] Décret n° 2022-1067 du 28 juillet 2022 pris pour l'application de la loi n° 2005-159 du 23 février 2005 relative au contrat de volontariat de solidarité internationale

 

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