L’action humanitaire moderne depuis plus de cinquante ans (lancement du sans frontiérisme[1]) a connu une évolution remarquable au point de constituer un système mondialement établi avec des ramifications politiques importantes. Elle repose aujourd’hui sur un écosystème bien structuré avec des entrées dans la sphère des influences diplomatiques, c’est une composante majeure des Relations entre les pays occidentaux, traditionnels donateurs et les pays dit du « sud », habituels bénéficiaires des aides.
Ce secteur d’activité a fait l’unanimité au sein de la société occidentale, les travailleurs humanitaires ont bénéficié d’une présomption de pureté parce qu’ils incarnent le don de soi et la volonté de secourir les personnes en situation de détresse à travers le monde. Ce sont des personnes en marge de la société capitaliste, ils/elles renoncent au confort de leurs sociétés d’origine pour les zones de crise tres enclavées et c’est indubitablement un renoncement appréciable pour se consacrer aux personnes nécessiteuses. Les populations ont participé à financer ces missions grâce à leurs nombreux dons, c’est dire que l’action humanitaire y est bien perçue. La communication a joué un tres grand rôle dans cette approche angéliste en construisant autour des acteurs humanitaires une aura importante.
En bordure des routes de campagne au
Cameroun par exemple ? quelle lecture locale de ce dispositif
international ?
La perception de l’Action humanitaire internationale : Entre indifférence, fascination et abnégation
Au-delà de la sphère politique qui
évolue au gré des enjeux macro, le regard porté sur l’Action Humanitaire
internationale dépend de plusieurs critères qu’il est important de mentionner,
la catégorie sociale, le niveau d’instruction et le degré d’implication dans
les activités sociales, raison pour laquelle mon observation s’est porté sur
les citoyens lambda, la jeunesse estudiantine, les acteurs associatifs qui ont
chacun des outils d’approche de la question différents.
Qu’en pense l’homme de la rue ?
Je précise d’abord que l’évolution
de l’Action Humanitaire internationale est parallèle à celle des
indépendances de plusieurs pays, elle chemine de ce fait étroitement
avec une logique d’aide des ressortissants des pays « riches » du
« nord » aux peuples en détresse dans les pays du
« sud ». Vu sous cet angle
nous surfons toujours sur la vague de la vision civilisatrice sur laquelle a
reposé la politique coloniale à son époque.
Nous sommes
dans des contextes ou il existe encore des résidus de la mentalité de
colonisés, il y subsiste toujours l’idée construite par la colonie selon
laquelle les « blancs » sont riches, forts, tout puissants. Il est de ce fait facile de classer l’aide humanitaire
internationale dans le grand registre de l’aide au développement et ce qu’elle
draine comme contradictions et débats au sein des sociétés africaines notamment,
l’expression triviale « même pipe même tabac » est une imagerie
appropriée pour illustrer le lien entre ces deux concepts.
Le regard des
populations urbaines ou rurales, des hommes de la rue sur les acteurs
humanitaires internationaux est un regard d’indifférence, ce sont des
« blancs » à bord des gros véhicules 4x4 équipés de longues antennes
qui ne s’arrêtent pas aux contrôles de police et sont quelques fois escortés
par des militaires. Il n’y a aucune différence entre ces blancs là et
ceux qui sont à bord des mêmes grosses cylindrés et travaillent pour les
multinationales, après tout « un blanc est égale à un autre ». Il est
clair que pour des paysans de retour du champ portant sur le dos des hottes de
vivre frais, voir passer un véhicule avec marqué dessus « Action contre la
faim » c’est une réelle curiosité et donc c’est tout simplement une
affaire de « blancs », d’ailleurs que recherchent ils en réalité dans
nos villages ?
Il y a tout
de meme une certaine impression de puissance qui se dégage de ces
« humanitaires », ils n’ont pas peur de dire « non » aux
autorités administratives, ils peuvent interpeller le gouvernement et cette
aura se répercutent sur les compatriotes qui sont recrutés au sein de ces organisations,
ils sont perçus comme des privilégiés et ils bénéficient en société d’une
certaine présomption de réussite intellectuelle et sociale, ils peuvent servir
quelque fois de modèles pour des jeunes durant leurs études.
Perceptions de l’action humanitaire internationale au sein de la jeunesse
La jeunesse
estudiantine quant à elle est un peu plus outillée, elle dispose d’outils
d’analyses de la dynamique humanitaire internationale. C’est une jeunesse
bercée tout d’abord par les luttes indépendantistes et aujourd’hui par la problématique
du néocolonialisme, le débat contemporain autour du développement de l’Afrique.
Cette catégorie sociale est restée elle aussi indifférente au discours porté
par les acteurs humanitaires internationaux, les valeurs éthiques prônées par
ces organisations n’y ont pas convaincu grand monde. Lorsqu’on a observé des
Etats envahir militairement d’autres pour des raisons dites humanitaires il est
préférable de ne pas trop se fier au discours humaniste qu’il y a autour.
De ce point
de vue les acteurs humanitaires internationaux sont plus perçus avec suspicion
qu’autre chose, l’implication des Etats dans cette dynamique fait l’objet de
débat entre universitaires qui n’hésite pas à voir derrière toutes actions
humanitaires occidentales une manœuvre d’influence étrangère… les thématiques
d’instrumentalisation, politisation de l’action humanitaire sont fréquemment
abordées.
L’arrivée des
réseaux sociaux a grandement contribuer à libéraliser l’information, on peut
facilement trouver de la documentation sur la théorie du pompier pyromane,
ce qui conforte la jeunesse estudiantine dans ses aspirations à d’autres types
de coopération entre pays. L’aura d’antan autour des acteurs humanitaires
internationaux a pris un coup, dans les parties du pays en proie à des
préoccupations sécuritaires[2] la
sécurité des travailleurs humanitaires n’est pas garantie.
Nonobstant
les fortes critiques portées sur le système humanitaire international il faut
noter l’ouverture de la formation au secteur humanitaire. Il y a aujourd’hui
une multitude d’offres formatives en Action Humanitaire dans des Instituts
supérieurs et autres grandes écoles, c’est un phénomène de mode au sein des
milieux de la formation dites professionnelle au Cameroun. L’engouement des
jeunes pour ces filières innovantes est réel et des familles n’hésitent pas à
consentir à d’énormes sacrifices pour payer ces formations généralement très couteuses
à leurs progénitures afin qu’elles puissent intégrer la communauté élitiste des «
travailleurs en 4x4 hyper sécurisés ». Cependant, une analyse du contenu des offres
formatives[3] fait
état de ce que la formation tourne autour des éclairages conceptuels, de l’historique
du mouvement humanitaire occidental avec quelques exemples pris de structures
fameuses, Médecins sans frontières, OXFAM, la Croix Rouge internationale et ses
démembrements nationaux…etc, bref une école de l’humanitaire à l’occidental,
une tentative d’enseignement des théories et pratiques élaborées, conçues par
et pour des acteurs occidentaux.
Les
difficultés d’intégration professionnelle auxquelles sont confrontés ces jeunes
après leurs formations témoignent de mon point de vue de l’inconsistance de ces
formations et surtout du fait qu’elles soient inadaptées aux besoins locaux en
la matière. Doit – on blâmer les promoteurs de ces filières ? je pense
qu’il faudrait de l’indulgence à leur égard parce qu’ils ne peuvent proposer
comme offre formative que ce qui existe déjà, et les seuls à avoir théoriser
abondamment l’Action Humanitaire sont et demeurent ses concepteurs occidentaux.
Les associations locales : supposés alter ego des acteurs humanitaires internationaux
Si l’on s’en tient
aux valeurs humanistes prônées par les Organisations humanitaires
internationales, l’humanisme, l’équité, l’égalité entre les hommes, la
solidarité, des slogans tels « left no one behind », nous pouvons
sans difficultés dire qu’ils ont des alter égo localement parce que la société
civile foisonne de millions d’associations dans toutes les Régions du Cameroun
portées par les mêmes valeurs. Cependant la rencontre entre acteurs du nord
et du sud au chevet des valeurs humanistes suffit-elle pour en faire des
partenaires ?
Les
associations locales sont de mon point de vue la catégorie la plus au contact
des acteurs internationaux, ils ont les mêmes cibles, les mêmes bénéficiaires
mais ne disposent pas des mêmes moyens. N’est-il pas frustrant de consacrer
toute son énergie pour les personnes défavorisées, d’etre confronté à toutes
sortes de blocages administratifs, politiques, sécuritaires dans un
environnement ou des acteurs du même domaine, mais venus d’ailleurs bénéficient
de la protection de l’Etat, disposent des ressources financières importantes,
peuvent brandir un cadre juridique[4] ratifiés
par nos Etats ?
En effet,
les organisations humanitaires internationales viennent faire dans les pays à
coup de fanfares et de dollars ce que des milliers d’associations locales font
avec des maigres ressources humaines et financières au quotidien dans tous les
coins les plus reculés du pays. Lorsqu’éclatent des crises, elles sont les
premières sur le terrain parceque constituées de personnes originaires de ces
zones. Ces acteurs locaux sont aux premières lignes généralement en attendant
l’arrivée du dispositif international porté par un encrage politique, dotés
d’une logistique imposante…etc. Partagés entre un sentiment d’envie et de
révolte, les acteurs locaux les plus ambitieux parviennent après des efforts à
attirer l’attention des internationaux qui consentent alors à leur confier
quelques prestations bien rémunérées.
Ainsi
survivent les organisations locales aux cotés de la grosse machine politico-
humanitaire internationale, entre frustration et fascination face aux moyens
logistiques. Qui est responsable de ce gap ? Comment se sent - on en tant
qu’acteur local lorsqu’on est informé par la télévision de l’évolution d’une
crise humanitaire dans son propre pays ? Je questionnais déjà cette
situation dans une réflexion en 2016, je me demandais ce qu’il adviendrait de
la crise humanitaire au Cameroun s’il n’y avait pas les acteurs humanitaires
internationaux.
Selon le Bureau de coordination des
affaires humanitaires (OCHA) 42 acteurs sont engagés, notamment 9 agences
onusiennes, 16 Organisation non gouvernementales internationales, 6 ONG
nationales, 5 institutions étatiques, 4 Mouvements Croix/Croissant
Rouge et 2 Organisations Internationales[5]
Sur 42
acteurs engagés dans la réponse humanitaire seules 5 ONG Nationales y sont
présentes en tant que prestataires auprès des Organisations humanitaires
internationales. Cette absence de valorisation des capacités locales entretien
sans aucun doute de nombreuses frustrations chez ceux-là qui sont relégués au
second plan en attendant que leur soient transférées des compétences techniques
qui leur permettrait de mieux assimiler la pratique humanitaire occidentale.
Les pays africains
et au Cameroun en particulier l’écosystème humanitaire est animé par le système
international qui coordonne les activités octroi les rôles en concertation avec
la Direction de la Protection Civile, en charge de la réponse de l’Etat aux
catastrophes et autres crises humanitaires. Face à cette situation de
monopole des acteurs internationaux, les associations sont réduites à observer
la scène humanitaire à bonne distance tout en sautant sur la moindre
opportunité de séminaire ou de renforcement des capacités qui leur apprendrait
à parler le langage humanitaire occidental.
Il faut préciser tout de même que les entraves au développement des acteurs de la société civile locale ne sont pas le fait des acteurs humanitaires internationaux, l’environnement national n’est pas favorable au développement d’un tissu associatif fort. Il est alors illusoire de prétendre à une collaboration d’égale à égale avec des acteurs internationaux soutenus par un encrage institutionnel puissant avec des ramifications politiques et financières importantes.
Depuis plus d’un cinquantenaire, le système humanitaire international a su tisser sa toile et se hisser parmi les composantes importantes des Relations Internationales, la littérature est abondante sur son évolution, les changements connus et les projections pour l’avenir. Parvenus au 21 e siècle il est opportun de questionner les opinions de l’autre partie prenante de la scène humanitaire : les populations des pays bénéficiaires. Les perceptions n’y sont effectivement pas les mêmes qu’en occident, les contextes ne sont pas les mêmes et le poids de l’histoire y est certainement pour beaucoup. Dans cette seconde réflexion sur la localisation de l’aide, Il faut noter qu’un potentiel local existe et il ne demande qu’a etre écouté, tel était l’enjeux de cette analyse, si nous voulons évoluer vers un autre type de collaboration entre acteurs du nord et du sud il faut tout d’abord se connaitre, pendant cinquante années il n’y a eu communication qu’autour de la partie occidentale, intéressons-nous désormais aussi aux acteurs locaux c’est le premier pas et c’est l’aventure à laquelle je vous convie.
ACHILLE
VALERY MENGO
[1]Action
d’organisations non gouvernementales, dérivées du mouvement « sans
frontières », qui cherchent à traiter de manière égale toutes les
personnes quelle que soit leur nationalité et à tenter intervenir dans des pays
dont les frontières sont fermées en vertu du principe d'humanité.
[2]
Les Régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun connaissent une crise sécuritaire
importante depuis bientôt 4 années à cause des groupes armées sécessionnistes.
[3]
Je suis moi-même le produit d’une de ces grandes écoles ayant intégré une offre
formative en action humanitaire
[4]
Le Droit International Humanitaire
[5]https://achillemengo.blogspot.com/2016/08/la-reponse-humanitaire-au-cameroun_23.html
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